Focus – Baux ruraux
Focus sur 3 arrêts récents de la 3ème Chambre Civile de la Cour de cassation
Le droit rural, droit transversal est si riche qu’il implique beaucoup d’humilité, peu de certitudes et toujours plus d’audace et d’imagination dans les prétoires.
Le Statut du Fermage en particulier, est un droit par nature dérogatoire et d’ordre public, ce qui signifie qu’il ne peut y être dérogé par convention.
Il est régi par des dispositions légales qui lui sont propres afin d’assurer la stabilité du preneur en place, à un point tel que le bailleur peut légitimement estimer être dépossédé de ses prérogatives de propriétaire sur ses biens.
Parce qu’il réglemente les relations bailleur/preneur avec des intérêts divergents, il est la source d’un fort contentieux ainsi que l’illustre jour après jour l’abondante jurisprudence prononcée par la 3ème Chambre Civile de la Cour de cassation.
3 focus sur des décisions prononcées depuis le début de l’année 2020 dont 2 le 26 mars 2020, soit après la publication de l’état d’urgence sanitaire, preuve en est que si l’arrêt brutal de quasiment toute activité judiciaire des Tribunaux et Cours d’Appel peut être déploré, hors contentieux dits « d’urgence », la Cour de cassation, et à tout le moins sa 3ème Chambre continue de nous édifier dans nos pratiques, à la faveur de sa jurisprudence.
FOCUS 1 : RESILIATION DU BAIL ET PRESCRIPTION QUINQUENNALE
Dans une décision prononcée le 26 mars 2020, la Cour de Cassation a rappelé les contours de l’action en résiliation du bail s’agissant du point de départ du délai de prescription.
Le bailleur peut saisir le Tribunal pour demander la résiliation du bail lorsque le preneur a cédé son bail à un descendant, à un partenaire de pacs ou à son conjoint, sans solliciter préalablement l’agrément du bailleur, ou à défaut, sans avoir été autorisé judiciairement par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux.
L’article 2224 du code civil prévoit le titulaire d’un droit ne peut exercer une action en justice que dans le délai de cinq ans à compter du moment où il a connu ou aurait dû connaitre les faits permettant de l’exercer.
Appliquée au bail rural, cette disposition pourrait laisser croire que le bailleur ne pourrait solliciter la résiliation du bail que dans les cinq ans à compter du jour où il a eu connaissance de la date à laquelle est intervenue la cession illicite du bail.
Or, la Cour de cassation, par son arrêt du 26 mars, vient confirmer sa jurisprudence antérieure selon laquelle le point de départ du délai de prescription ne court qu’à compter de la cessation du manquement du preneur.
C’est donc à tort que la Cour d’Appel (de RENNES en l’espèce) a déclaré prescrite l’action du bailleur en retenant à tort que dans le cadre d’une précédente action la demande du bailleur avait été jugé irrecevable, et que dès lors l’article 2243 du code civil, en vertu duquel l’interruption de prescription est non avenue en cas de rejet définitif de la demande, ne distinguait pas les moyens de fond et les fins de recevoir et que, la prescription quinquennale avait couru dès la saisine initiale du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux.
L’analyse de la jurisprudence révèle que tant que le bail court, il est difficile pour un bailleur d’obtenir sa résiliation, les motifs étant rigoureusement encadrés et interprétés très strictement.
En revanche, pour la cession du bail, l’action du preneur est accueillie beaucoup plus largement, ainsi que le démontre non seulement tout le courant jurisprudentiel sur le preneur de bonne foi qui seul peut céder son bail, mais à l’occasion cette fois de la prescription et de son point de départ.
(Cour de cassation, Chambre civile 3, 26 mars 2020, 18-26.073).
FOCUS 2 : DROIT DE PREEMPTION DU FERMIER
Le statut du fermage offre au preneur en place la faculté d’accéder en priorité au bien qu’il exploite dans le cas où le bailleur se décide à vendre le bien loué.
Le droit de préemption du fermier est personnel et incessible, de sorte qu’il ne peut être cédé à un tiers.
Le statut du fermage donne cependant au preneur la faculté de subroger dans l’exercice de son droit de préemption les personnes physiques de son entourage familial, à savoir un descendant, son partenaire de pacs ou son conjoint, qui justifient d’une activité agricole.
Le preneur dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de la notification de l’offre de vente du bailleur pour faire savoir sa décision de préempter.
La Cour de Cassation, par un arrêt du 26 mars 2020, est venue préciser que la déclaration de préemption faite par le preneur doit permettre d’identifier avec certitude le véritable bénéficiaire de la préemption.
Par conséquent, la déclaration qui n’identifie pas de manière suffisamment claire le bénéficiaire de la préemption est nulle.
A défaut de nouvelle déclaration de préemption dans le délai légal, le preneur perd son droit d’acquérir en priorité les biens affermés objets à la vente.
En l’espèce, le preneur avait déclaré qu’il préemptait « en nom propre ou par toute personne morale le substituant. »
Le bailleur n’avait pas tenu compte de sa décision de préempter et avait procédé à des cessions au mépris de son droit de préemption, les cessions ayant été annulées par la Cour d’Appel.
Cassation de l’arrêt au motif que « la déclaration de préemption ne permettait pas d’en identifier avec certitude le véritable bénéficiaire. »
Une nouvelle fois, la vigilance s’impose encore sur la forme de la déclaration de la préemption.
(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 26 mars 2020, 19-11.420).
FOCUS 3 : LA CONTESTATION DU CONGE REPRISE
Le droit de reprise est une prérogative que la loi accorde au bailleur pour faire obstacle au renouvellement du bail rural.
Le bailleur peur décider de reprendre les terres affermées pour les exploiter luimême ou pour qu’un descendant, son partenaire de pacs ou son conjoint, les exploite.
Le bailleur doit adresser un congé dix-huit mois avant le renouvellement du bail au preneur par acte d’huissier.
L’article L411-54 du Code rural et de la pêche maritime donne au preneur la faculté de contester la reprise dans le délai de quatre mois à compter de la réception du congé. Passé ce délai, il est forclos et est réputé l’avoir accepté.
La Cour de Cassation, par un arrêt du 23 janvier 2020, vient préciser que le preneur peut contester le congé au-delà du délai de quatre mois dans la mesure où il invoque un fait qui justifie l’impossibilité de la reprise fait qui n’existait pas dans les 4 mois de la délivrance du congé.
S’agissant d’un fait nouveau lié au partage des terres après décès de l’usufruitière qui avait délivré congé avec les nu-propriétaires, le preneur n’avait pas eu matière à contester le congé dans le délai de quatre mois.
Mais en définitive, postérieurement au congé et suite au décès de l’usufruitière et au partage des terres, il s’avérait que le congé était délivré non pas au petit-fils du bailleur, mais en définitive à un neveu, ce qui n’est donc pas permis par le statut du fermage.
Encore, une fois, la Cour de cassation applique le principe selon lequel, la validité du congé doit s’apprécier à la date d’effet du congé.
Dès lors, la Cour de cassation précise que le preneur peut contester le congé sans délai dès lors qu’il invoque un fait non connu par lui dans les quatre mois du congé, en l’espèce, la qualité du bénéficiaire qui constitue l’une des conditions essentielles au congé reprise, et qui tenait au décès puis au partage intervenu postérieurement au délai de 4 mois suivant le congé.
Cette jurisprudence mérite d’être relevée car elle démontre une fois de plus, la diversité des situations qui mérite une analyse au cas par cas.
(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 janvier 2020, 18-22.159)
Myriam GOBBÉ
Avocate spécialiste en droit Rural
Associée de la SCP AVOCATSLIBERTE,
Avec le concours d’Ophélie MONNIER, stagiaire au cabinet, élève-avocate à l’ECOA